samedi 10 avril 2010

Go à gogo!

      
Place des Mille Vents, les joueurs couverts de givre sont pareils aux bonshommes de neige. Une vapeur blanche s’échappe des nez et des bouches. Des aiguilles de glace, poussées sous le rebord de leurs toques, pointent vers la terre. Le ciel est de nacre, le soleil, cramoisi, tombe, tombe. Où se situe le tombeau du soleil ?
Quand l’endroit s’est-il transformé en lieu de rendez-vous des amateurs de go ? Je l’ignore. Les damiers gravés sur les tables de granit, après des milliers de parties, sont devenus visages, pensées, prières.
Shan Sa, La joueuse de Go

Qui, mieux que Shan Sa, décrit mieux la passion des chinois pour le jeu de go? On les voit frissonner sous le crépuscule et le froid, ces joueurs de go si concentrés sur leur jeu qu'ils en oublie leur  corps. Quel jeu peut-il donc aspirer ainsi l'esprit du joueur, au point d'en oublier tout confort, d'en oublier l'hiver, mais aussi la guerre et ses horreurs?

Le jeu de go (围棋 - weiji) a beau extrêmement ancien - Confucius le mentionne dans ses entretiens - il garde aujourd'hui une très forte popularité non seulement en Chine, mais également au Japon. Ainsi, il n'est pas rare de voir, aguillé sur des cartons ou de tremblants tabourets devant les échoppes chinoises, ou dans les parcs, se dérouler une partie sous les regards experts des voisins, amis et passants. A le voir ainsi dans la rue, on en oublierait la noblesse de ses origines. Mais les japonais s'en souviennent, qui continuent de le considérer comme le plus noble des jeux. Ainsi, le jeu de go aurait des origines divines.

Dragon noir contre dragon blanc - le choc des titans
   
Les dragons ont beau être de bien nobles créatures, ils se disputent aussi. Et pour des choses aussi futiles que de savoir qui est le plus puissant. Et oui! C'est donc ce qui arriva au dragon blanc et au dragon noir. Mais il faut le reconnaître cela: ils se disputèrent de façon fort symbolique. A travers le jeu. Et la partie dura très longtemps. Après tout, les dragons ont l'éternité devant eux. 

Le jeu de go était né, et si l'on en croit la peinture chinoise, il n'était pas réservé qu'aux seuls humains ordinaires. Ainsi l'on peut voir Guanyu - héros militaire des Trois Royaume qui sera ensuite divinisé - se livrer à une partie de go lors qu'il subissait une opération au bras.

La peinture chinoise ne manque pas de représentations de philosophes et  d'aristocrates pris dans une noble partie de go. A cela, la peinture japonaise fait bon écho. Peintures anciennes ou modernes, céramiques chinoises, calligraphie. Le jeu de go a largement sa place dans l'art. Ce site en fait une belle présentation.

Le jeu le plus représenté dans la littérature?
   
Qui n'a pas lu La joueuse de go de Shan Sa? Il est presque obligatoire dans le programme scolaire ou au lycée. Et c'est certain, la belle adolescente, géniale stratège du 
goban, ne s'est pas contentée d'emplir de larmes les yeux de ses lecteurs, elle a aussi insufflé un vent d'intérêt pour le go en France. Si le go est un prétexte, chez Shan Sa, il devient le sujet du Maître de go de Yasunari Kawabata. Moins connu, mais très présent dans la blogosphère littéraire, le maître de go allie la noblesse du jeu à une philosophie orientale intrinsèque du jeu qui lui donne toute sa valeur.

Mais il n'y a pas que les amoureux de la littérature qui apprécient le go sur les pages. Je me souviens d'un jour où, autour d'un café, j'écoutais un ami m'expliquer sa passion pour les mangas japonais. Avant Hayao Miyasaki j'avais toujours considéré les mangas comme de la sous-culture, si on pouvait utiliser le mot culture, et je considérais toujours Miyasaki comme l'exception. Mais je dois admettre que n'y connaissant rien, je fus très surprise d'apprendre que parmi les différentes catégories de mangas, il y avait le jeu de go. "Quoi! Mais comment peut-on raconter des aventures en BD autour du jeu de go?" En effet, le jeu de go, ce n'est pas du Michel Vaillant. Vous pouvez écrire pas mal d'aventures autour de casse-cous sur des circuits automobiles! Mais le jeu de go, c'est le culte de l'immobilisme et du silence! Même le tirage au sort se fait en silence! Tout se passe dans la tête. C’est pourtant le défi que relève le manga Hikaru no go. Et mon ami d'ajouter "Oui, et en plus  la série (une série!) a tellement de succès chez les jeunes qu'il y a maintenant un feuilleton animé et les jeunes japonais se sont aussi mis au go!" Sidérant. Il fallait que je voie ça. Et j'ai vu. La recette est finalement toujours la même: passion, sexe, violence et un brin de fantastique. De la violence dans le jeu de go? Il suffisait en fait de faire entrer le lecteur dans la tête des impassibles joueurs, là où les fantasmes cachés prennent un visage... bien moins zen.

La complexe simplicité d'un jeu de stratégie millénaire

Alors pourquoi ce succès? Pourquoi depuis bien avant notre ère, le go rencontre-t-il un tel succès, au point d'être considéré comme un des nobles arts qu'une personne accomplie doit maîtriser? Car les enfants qui apprennent à lire les connaissent par cœur, les quatre idéogrammes qui toujours se succèdent dans le même ordre des quatre arts chinois: la musique (qin 琴) , le jeu (de go ou weiqi)(qi 棋), la calligraphie (shu 書) et la peinture (hua 畫 ).

Le petit plateau aux pierres noires et blanches est pourtant le dénuement même. Toujours sobre, sa représentation dans l'art tient plus de la noblesse des joueurs que de son esthétique. A la simplicité du matériel répond la simplicité des règle. Il s’agit de poser ses pierres sur les intersections afin de contrôler le plus de territoire possible. Mais les possibilités sont infinies. Et le hasard est totalement absent du jeu. Seul l’esprit compte. Et c’est là que le jeu de go puise toute sa noblesse : l’esprit le plus fin gagnera. La concentration qu’il faut investir dans le jeu est telle, que l’on peut comprendre l’indifférence au froid des joueurs de la Place du Vent. Superbe parabole du joueur de go.

Un jour j’étais tombée, dans le bric-à-brac d’un petit magasin, sur 4 figurines adorablement chinoises représentant les quatre arts. Le joueur joue bien sûr au go. Et se gratte la tête, pris dans sa profonde réflexion



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