mercredi 19 février 2014

Problème? Vous avez dit problème? Quels problèmes...


... Madame la Marquise?

Situation 1

 Dans un avion de la Southern China Airlines. La poche cousue au siège devant moi est rempli d'une matière visqueuse rouge non identifiable sans de sérieux tests dans un laboratoire. Je le signale à l'hôtesse - d'abord en chinois puis, comme elle ne comprend pas - en anglais. Premier réflexe de l'hôtesse: quoi? Il y a quoi? Où? Je lui mets un magazine qui a trempé dans la soupe sous le nez. 2ème réflexe de l'hôtesse: "Désolée, il n'y a plus de place ailleurs" sur un ton un peu sec - moins souriant que le vernis avec lequel on est accueilli dans l'avion. Je proteste quand même que c'est dégueulasse et que je ne vais pas passer le voyage avec ça sous le nez - dans mon idée, bien que ce ne soit pas de sa faute si le ménage a été mal fait, quelqu'un doit venir nettoyer. Mais l'hôtesse a une autre idée. Elle apporte une couverture et recouvre l'objet de mon dégoût. Voilà, maintenant qu'on ne le voit plus, le problème n'est plus là.

Situation 2

Université de l'aviation civile, salle de classe. Les élèves ont ouvert la fenêtre et la porte car il fait très chaud. Tout à coup, un courant d'air referme la porte violemment. La fenêtre qui se trouve juste au-dessus de la porte vole ne éclats sous le choc. Il y a des bris de verre partout, et quelques morceaux de verre dangereux restent accrochés, en équilibre précaire au-dessus de la porte. J'envoie un élève chercher le concierge, qui ne bouge pas une oreille. Je vais le chercher moi-même. Il se décide enfin à venir nettoyer les bris de verre mais ne touche pas à l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de la porte. Je lui explique que c'est dangereux. Sans résultat. Je vais alors voir la directrice, la seule qui ici écoute, pour lui expliquer le danger de la situation. Le lendemain, alors que je donne cours, des ouvriers viennent remplacer la vitre. En en mettant une neuve, ils la fissurent de haut en bas... mais la mettent tout de même - à changer lors du prochain accident. Même la directrice ne juge pas nécessaire d'envisager ce qui pourrait arriver.

Situation 3

Je vous invite chez moi. A Tianjin. Alors que j'y vivais dans une chambre équipée d'une belle cuisine - la meilleure cuisine que j'ai eue depuis que je suis en Chine. Peu de temps après avoir emménagé, il me semble, mais c'est très subtil, ressentir de petits chocs électriques, de temps à autres, lorsque je prends ma douche. Je pense à un faux mouvement, mais quelque chose au fond de moi me chuchote que c'était de l'électricité. L'idée qu'il puisse y avoir de l'électricité dans l'eau me terrifie et je préfère me dire que mes sens m'ont trompée. Mais l'incident ce répète de plus en plus souvent, de plus en plus fort, à plusieurs reprises et je finis par dire à mon directeur (c'est mon école qui gère l'appartement, qui lui appartient) que je me fais électrocuter lorsque je prends ma douche. Il rit mais envoie quelqu'un qui en 5 minutes découvre que tous mes robinets et même la poignée de la porte sont sous tension... et que c'est de la faute de mon four - je dois le débrancher. Je proteste d'un "oui peut-être qu'il y a un court-circuit dans mon four (après tout les petits fours achetés en Chine ont une salle tendance - un peu comme les radiateurs électriques - à faire sauter les plombs ou à faire des étincelles. Il faut dire qu'ils sont vraiment très bon marché) mais j'aimerais quand même savoir comment mon four s'y prend pour envoyer de l'électricité dans la tuyauterie de l'eau." Pas de réponse. Débranche ton four. Comme je m'y attendais, peu de temps plus tard, four débranché, le problème recommence. On revient... c'est la hotte d'aération. Mêmes protestations. Même réponse. Débranche la hotte. Puis vient le jour - 7 mois plus tard - ou le fais sauter les plombs en versant l'eau de mes spaghetti dans l'évier. Grosse frayeur pour moi - mon patron aussitôt informé me dit de quitter tout de suite cet appartement - il est trop dangereux! Ben puisque je me tue à vous le dire...

Des situations, il y en a beaucoup d'autres. Le patron qui prend des décisions inacceptables (par exemple bosser 7 jours sur 7) et mes collègues chinoises qui prennent un air ennuyé tout en réfléchissant à comment s'organiser pour inclure la dite décision dans leur quotidien - les montages électriques qui attendent l'inévitable accident - l'alimentation d'eau qui coule et que je dois fermer, comme ça ça ne coule plus...

Il y a bien bien longtemps, en 2008, je rédigeais un article sur une artiste qui s'était amusée à comparer certains traits culturels chinois et allemands. Parmi eux, figurait celui-ci représentant la manière allemande (en bleu) d'appréhender un problème, face à la manière chinoise:


Plusieurs interprétations sont possibles bien sûr. La première fois que j'ai vu ce dessin, j'ai compris: en bleu, on résout le problème, en rouge, on le contourne. Mais on peut aussi dire, le bleu ne dévie pas de sa trajectoire, le rouge est plus flexible.

Ce qui ne serait pas complètement faux. Un CV sur lequel figure plusieurs années de vie en Chine vaut un certificat de flexibilité.

Mais j'aimerais parler de la façon d'aborder des problèmes.

Mais le fait est que l'approche des problèmes diverge entre la culture occidentale et la culture chinoise - l'une fait face et cherche à résoudre (et donc en parle), l'autre préfère ne pas parler de choses désagréables et s'adapte plutôt que contourne - il y a un problème, on s'arrange pour vivre avec.

Je relève à ce sujet la traduction du mot problème: en chinois, problème et question sont les mêmes: poser une question, c'est poser un problème. Vu ainsi, la question est une chose négative mais, inversement, un problème n'est pas tant problématique qu'interrogatif. Le fait est qu'ici, on interroge peu et mentionne peu les problèmes et que pour l'occidentale qui plus est militante que je suis, c'est parfois très très difficile. Celui qui gueule est très mal vu. Celui qui reproche fait perdre la face. Il faut maîtriser l'art très subtil du double sens, de l'implicite diplomatique pour relever un problème sans se faire des ennemis. Art que je ne possède pas moi qui ai la délicatesse d'un char d'assaut qui aurait perdu ses freins en route.

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