mardi 19 janvier 2010

Bêbêtes à thé

Un soir, alors que je déambulais à moitié perdue  et très fatiguée dans une des grandes avenues neutre de Chengdu, une échoppe de thé capta mon attention. je ne saur ais dire ce qui m'attira exactement, car j'en avais assez des magasins et rêvais plutôt de m'installer dans un fauteuil confortable à l'hôtel et de bouquiner un peu. L'échoppe n'avait rien d'extraordinaire non plus. Mais j'y suis entrée. Et j'y fis ma plus belle rencontre.

Elle était là. Caché au fond d'une étagère qui présentait quelques bêtes à thé - je ne connaissais pas l'espèce alors. Je promenais un œil vague sur un Confucius d'argile, quand elle apparut. Je ne peux pas dire que ce fut un coup de foudre, je la prenais, la tournais,  la soupesais, demandais vaguement son prix tout en étant prête à la reposer. Sauf qu'elle ne me lâcha pas. Tout à coup, il me la fallait absolument. Et le vendeur qui négociait à peine...

Elle, c'est un petit Pi Xiu d'argile. Mais à ce moment-là, et pendant longtemps, j'ignorais son nom. Pour moi, elle ressemblait plutôt à une loutre, chinoise bien sûr. Et elle restera La loutre.

Je connaissais déjà quelques objets autour de la cérémonie du  thé. Mais j'éprouvais quelques difficultés à définir l'usage de ma loutre dans cette cérémonie: à quoi servait-elle exactement?
"C'est pour ne pas être seul quand on boit du thé" répondit le  vendeur. Extraordinaire culture autour du thé! Et en effet, l'animal est si attachant, qu'on ne se sent jamais vraiment seul.

Cette rencontre était la genèse d'une nouvelle passion: fouiner à la recherche des plus belles statuettes  d'argile du bestiaire mythologique chinois et des divers objets amusant autour du thé. Je me suis mise à fouiner dans les plus petites boutiques de thé, à en faire le tour, l'œil aux aguets et le vendeur perplexe (non, ce n'est pas du thé que je cherche...). Mais la loutre restait le plus bel objet découvert.

Récemment, j'ai réalisé que je vivais à côté d'un grand marché du thé. Les objets les plus amusants y abondent, dont un superbe bestiaire et beaucoup, beaucoup de Pi  Xiu. Bien que ma loutre en reste la reine, ma collection s'est agrandie.

Pour savoir si l'eau est assez chaude il y a plusieurs moyens: des petits pisseurs d'argiles à deux yuans rencontrent un franc succès. Ces Mannekenpis chinois se présentent sous plusieurs formes:  garçonnet surpris, moine, bouddha, Zhu Bajie, le fameux compagnon cochon du célèbre singe Sun Wukong. Il faut les garder dans de l'eau froide dont elles doivent être remplies. Une fois l'eau prête, il suffit d'en verser sur une de ces figurine. Si un grand jet s'échappe du pisseur, l'eau est assez chaude. Cela est dû à la différence de pression: l'eau bouillante éjecte l'eau froide d'un coup.

Plus amusant encore, les statuettes thermochromes (dont les couleurs changent avec la chaleur) rencontrent un franc succès. A la fois décoratives et amusantes, on craque facilement pour ces objets magiques qui promettent d'épater un bon coup les amis. Pi Xiu noir qui se transforme en jade, Pi Xiu couleur d'argile qui devient or, Bouddha d'or, bonhomme multicolore, tigre noir qui prend les vraies couleurs du tigre ou, petit trésor croisé dans une boutique de Chongqing: la tasse aux motifs de dragons qui deviennent rouges quand le contenu est chaud. De quoi s'en mettre plein les mirettes!

Voici quelques pièces de ma collection:


dimanche 17 janvier 2010

Aujourd'hui, c'est sûr, je vais à la poste (tiré de l'ancien blog)

 
 
Il est dimanche. 10h00. Le réveil ne sonne pas. Il faut dire que mon réveil, c'est mon téléphone, et qu'il m'a quitté hier. Depuis, on ne se parle plus. Un jour gris teinté d'un peu de soleil éclaire le squelette du colosse de béton qui se construit sous ma fenêtre. Lui, ça fait un moment qu'il grince, tape, résonne. Même le dimanche, les ouvrier s'activent tôt (et parfois tard) sur le chantier. Mais j'ai l'habitude, et depuis quelques temps les machines les plus bruyantes ce sont arrêtées. D'un œil entrouvert, j'observe l'ascenseur externe monter et descendre le long des étages sans murs. Les casques jaunes se détacher sur la grisaille bétonneuse. Ce n'est ni déprimant, ni joyeux. C'est juste étrange.

Je n'ai pas envie de me lever. Mal à la tête. Rien à manger. La vaisselle sale traîne dans l’évier. Et puis... il faut que j'aille à la poste. Ohhhh ! Refermons les yeux.

Finalement debout. Routine d'un matin: je prends la cafetière italienne, la remplis à la fontaine d'eau minérale. Jusqu'à la vis. J'allume le gaz: première manette en bas, tirer sur le gligli1 noir à pression, allumer. Éteindre. C'est prêt. Musique sur les oreilles. A table.
1
C’est un bitogneau aurait dit mon grand-père

Vient ensuite la terrible épreuve de la douche. J'hésite, je lambine. Peut-être que je devrais m'habiller d'abord pour aller..., pour aller à la poste! Ah. Je vais aller prendre ma douche.

La salle de bain-wc est très petite. Et sans lumière (pas d'échelle pour changer l'ampoule). J'ouvre l'eau à fond, pour créer la pression suffisante à déclencher le chauffe-eau qui est à la cuisine. Mais plus il y a d'eau, plus l'eau est froide, donc je baisse la pression, gentiment. L'eau devrait devenir presque tiède. Devrait...  Et m.... On se rhabille vite fait, passe à la cuisine-balcon, pèse sur le bitogneau2 noir, remonte la manette du gaz et retourne dans la salle de bain. Cette fois, il y a de l'eau  tiède. Notons bien le mot tiède. Depuis qu’il fait froid, la douche n’est pas très coopérative. Il faut serrer les dents un bon coup, retenir sa respiration et hop, un coup de jet d’eau. Sans crier de préférence. Pour sûr, ça réveille!
2
C’est comme un gligli dirait ma mère

Douche terminée, j'ai écopé l'eau de la douche. Et maintenant? Maintenant, il faut aller à la poste. Oh. Demain. J'ai pas fini d'écrire les messages (ben écris-les!), et puis je n'ai pas trouvé tous les emballages (oui mais tu sais bien que la poste, elle emballe tout), et puis je ne sais pas si je peux envoyer de la nourriture (ben tu essaies, et tu verras), et puis ce serait plus facile en prenant un étudiant (ça suffit, tu y es déjà allée maintes fois sans étudiants!). Restons zen. Respirons un bon coup. J'ai les adresses, j'ai mon adresse, j'ai bien séparé tous les cadeaux pour aller plus vite, j'ai bien vérifié le mot "Autriche" en chinois pour ne pas envoyer le cadeau vers l'Australie... Bon. Allons-y.

A la poste il y a peu de monde. C'est un évènement en soi. Je me dirige vers le préposé aux colis. J’en ai cinq à envoyer, mais on va y aller progressivement. D’abord le plus gros, pour la Suisse. C’est un peu risqué, il y a des spécialités gastronomiques. Je m’attends donc à un refus. Et par esprit de contradiction… ça passe ! Wow ! J’aurais dû apporter les bonbons au yak, ils auraient peut-être passé aussi ! Mon scepticisme ne venait pas d’une propension spéciale au pessimisme (pas cette fois en tout cas), mais aux expériences passées où innocemment, j’avais voulu envoyer des choses que l’on n’avait pas le droit de faire sortir du pays : du papier journal pour envelopper un objet fragile (ah non ! on envoie pas les journaux en chinois à l’étranger, quelqu’un pourrait les lire, l’objet fragile est donc arrivé à destination sous la forme d’un puzzle 3D) ou un cd de photos souvenir d’un voyage… Du coup, des aliments…pensez ! Et bien ça passe. Promis, à la demande, j’envoie un Huo Guo entier !

Le thermostat de l’humeur a presque grimpé au beau fixe. Il faut maintenant remplir les papiers. L’adresse du destinataire, ça, ça va, c’est la mienne qui pose problème, elle est en chinois. Logique. Mais je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je doive me pencher vers un charmant jeune homme pour lui susurrer : « Euh, hum… ? Excusez-moi, désolée, est-ce que vous pourriez écrire mon adresse sur ce papier ? Désolée, je ne sais pas comment l’écrire… » (sourire gêné et mains mises ensemble en geste d’excuse et de prière.) S’il y a un truc génial en Chine, c’est qu’on se voit rarement refuser un service. Le jeune homme en question, remplit le formulaire, deux fois, en appuyant bien puis écrit encore l’adresse sur le carton. Et moi de me répandre en remerciements. S’il y a un deuxième truc génial en Chine, c’est qu’on y prend des cours accélérés efficaces de modestie et d'humilité.

Et ça continue avec le deuxième. Un nouveau sourire charmeur à un nouveau jeune homme pour écrire mon adresse (et j’en ai 5 !). Non, ce n’est pas de la drague de ma part. Mais j’apprends. Ça peut servir.
Troisième colis, pas de jeune homme. Un groupe de personnes pressées, je n’ose pas demander, j’ai l’impression d’abuser. Je me lance donc dans la rédaction de ma propre adresse, moi-même ! En m’appliquant, lentement. Et çà marche ! Ça n’a même pas l’air d’être écrit avec la main gauche !(enfin je crois). Je suis fière de moi ! Et un peu déçue. Autour de moi, personne ne remarque cette formidable performance. On est souvent seul dans les grands moments de gloire.

Les deux derniers colis ne partiront pas. Une heure de poste, c'est suffisant. Et puis les peintures sont trop grandes et j’ai failli la crise cardiaque quand l’employé, fort patient avec moi certes, mais peu conscient de la valeur à mes yeux des dites peintures, a proposé de les plier pour les faire entrer dans un carton ! Monsieur, enfin! Nous n'avons franchement pas les mêmes valeurs!

samedi 16 janvier 2010

samedi 9 janvier 2010

Pi Xiu - le mythique glouton


 
 貔貅

Il guette le passant fièrement installé sur son étagère, dans une boutique de thé. Sa belle tête de lion dressée, la mâchoire entrouverte histoire de faire savoir que la bête n’est pas inoffensive, une corne comme une volute de fumée sur son front et la queue imitant le geste, symétrique, harmonieuse. La bête a des ailes mais solidement campée sur ses pattes de félins, elle n’a que cela d’aérien. Pourtant, papa était un dragon (à noter à ce propos que si fiston garde les ailes du dragon paternel mais reste bien terrestre, le père vole mais n’a pas d’ailes, comme tout dragon chinois qui se respecte. Encore un mystère.)

C’est le mythique Pi Xiu 貔貅, ou Pi Xie. Nom charmant, mais fort variable puisque qu’on le trouve aussi sous Tian Lu 天祿. Ou Pi Ya(o). Et là, pour s’y retrouver, c’est comme pour les chameaux et les dromadaires, il faut compter, non pas les bosses, mais les cornes. Une pour Tian Lu, deux pour Pi Ya(o).


Comment Pi Xiu perdit son anus
Tout se perd. Absolument tout. Pi Xiu, lui, a perdu la partie la moins facile à perdre de son anatomie : son anus. Il faut tout de même admettre qu’il faut avoir un certain talent pour cela. Ou beaucoup d’humour.


Et de l’humour, Daddy Yuhuang* ou plus communément  玉皇大帝 n’en manque pas. Sans être magnanime  pour autant.  Ainsi, Pi Xiu a transgressé une loi céleste (laquelle, je ne sais, je n’ai pas mon code juridique céleste sous la main) et s’est retrouvé à ne pouvoir manger que de l’or, sans jamais plus déféquer. Il faut admettre tout de même qu’en matière de punition, l’Empereur de Jade ne manque pas d’imagination.

Et du coup, Pi Xiu, c’est un peu comme la poule aux œufs d’or (si on fait bien sûr abstraction des différences anatomiques). L'oor, Pi Xiu le ramasse, l'ingurgite et le garde dans sa bedaine. Il n’en fallait pas plus pour en  faire un des nombreux symboles d’abondance.

Mais ses vertus ne s’arrêtent pas là. Pi Xiu est un symbole important du Feng Shui : il a aussi la capacité d’harmoniser une vie déséquilibrée et ses crocs ne trompent pas : il est un symbole protecteur. Un symbole guerrier. Ainsi, Mme Pi Xiu, la gueule fermée, garde l’or tandis que Monsieur , tout en crocs, garde le foyer. Ensemble ils apportent la bonne fortune.



samedi 2 janvier 2010

"Messieurs Ma, père et fils" - LAO She


Choc culturel et choc des générations



Résumé :

Entre-deux guerre. Messieurs Ma, le père et le fils, embarquent pour l’Angleterre où ils vont reprendre le magasin d’Antiquités que leur laisse le frère du vieux Ma. Pour lui, cinquantenaire lettré et oisif, pauvre mais raffiné ayant rêvé toute sa vie d’être fonctionnaire et méprisant les commerçants, c’est une humiliation que de reprendre un commerce et l’idée de quitter la Chine ne l’enchante guère mais, fataliste malgré sa fierté, il se plie à cette obligation. Pour le jeune Ma Wei, c’est la chance unique de pouvoir faire des études, de construire son futur.

Ils trouvent un logement chez une veuve, Mme Window, qui vit seule avec sa fille Mary. Si la veuve voit d’un mauvais œil la venue de chinois chez elle, elle cède rapidement au charme raffiné du vieux Ma tandis que le jeune Ma Wei tombe amoureux de la jolie et coquette Mary, qui elle n’arrive pas à se départir de ses préjugés mais apprécie l’admiration qu’on lui accorde. Mais tant le fossé entre les générations, le vieux Ma représentant la Chine fossilisée dans la tradition et Ma Wei la jeunesse qui veut voir les choses changer, qui rêve de modernité, que les préjugés qui minent les relations entre les personnages, va faire imploser ce petit monde qui ne peut pas tenir ensemble.

Mon avis :

Curieuse de connaître le point de vue d’un chinois sur l’Occident, j’avais eu très envie de lire ce livre. Lao SHE a vécu à Londres dans les années 30, et il faut tout d’abord lui accorder qu’il a un grand talent de description. On voit le brouillard de Londres, l’effervescence de noël, le vieux Ma face au trafic, au tourbillon du rythme londonien, se sentant prit de tournis. Il maîtrise la description des personnages aussi, surtout celle de la veuve Window et du vieux Ma, alors que les autres personnages sont plus estompés, Ma Wei presque en filigrane. On voit la veuve Window évoluer de ses préjugés qui s’estompent, à son amour pour le vieux chinois, déchiré par les préjugés de la société. « Sauver les apparences », cette doctrine dont le vieux Ma est le plus fidèle gardien viendra finalement mettre fin à un amour condamné par la société.

Lao SHE oppose donc deux choses. La société chinoise et la société anglaise, dénonçant avec virulence les injustices dont sont victimes les immigrés chinois en Angleterre et le racisme ambiant, mais dénonçant également le manque de fierté et d’efficacité de ses compatriotes dont il fait une critique virulente, au travers du personnage du vieux Ma, et par la bouche de Li Zirong, employé efficace au magasin d’antiquités, qui fait le pont entre les valeurs trop traditionnelles du vieux Ma et le désir de modernité absolue de Ma Wei et entre la société anglaise et la société chinoise.

Voilà maintenant huit mois que je vis en Chine. Bien que ce roman se situe au début du siècle passé, je n’ai pas cessé de retrouver des analogies avec le présent. Par exemple, le conflit entre la Chine traditionnelle et la Chine moderne est très marqué. Ce n’est pas juste une histoire de conflit de génération. Il est aussi présent chez les jeunes. La modernité semble avoir fondu sans prévenir sur ce pays : elle est partout, gadgets, belles voitures avec ordinateur intégré sur lequel on voit le chauffeur jouer au… ma-jong ! En discutant un jour de la valeur du mot « harmonie », tant utilisé ici en parlant du développement du pays, on m’a expliqué que cela venait du confucianisme. Lorsque je demande à mes élèves ce qu’ils préfèrent lire, ils me répondent systématiquement : les classiques (du Moyen-Âge). Lorsque je leur demande quelle époque il voudrait visiter s’ils le pouvaient, ils me parlent de dynasties lointaines. L’impression qui en ressort pour moi, c’est que la Chine s’avance dans l’avenir en regardant vers son passé. Et Lao SHE met très bien en lumière cette fierté nostalgique de la vieille génération opposée à la déception et à la frustration de la jeune génération.
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