samedi 26 décembre 2009

"Un monde évanoui" - YU Hua

                     
Un univers rêvé derrière un rideau de pluie

Ce petit livre contient deux nouvelles. La première est un petit polar au bord de l'eau. Une rivière, et des personnages qui irrémédiablement rejoignent ses rives. Un polar dont l'intrigue importe moins que le décors. Une peinture. Mais c'est dans la deuxième nouvelle,  éponyme du recueil, que cet art de peindre par l'écrit atteint son sommet. Et c’est pour celle-là que j’ai acheté le livre.

Si on regarde une peinture chinoise représentant des montagnes, on est souvent impressionné par l’habileté du peintre à rendre la texture et la qualité des nuages. Dans ce pays où l’esthétique est basée sur les jeux de semblant et faux semblants, il n’est pas étonnant de découvrir que la meilleure qualité de Yu Hua est la peinture du décors. Dans les deux récits ils ne dominent pas seulement, ils jouent carrément le rôle principal. Pas étonnant, dès lors, que dans "Un monde évanoui" les personnages restent anonymes.

Un monde évanoui, c’est un village où tous les habitants sont dénommés par des chiffres. Quels chiffres ? Ceux de leur maison peut-être ? Seul le devin et l’aveugle (sans logement) n’en ont pas. Cela vaut d’ailleurs la peine, pour lire cette nouvelle, d’aller chercher la signification du symbolisme des chiffres en chinois, celui-ci étant si important qu’il va jusqu’à influencer le prix d’une ligne téléphonique, selon qu’elle porte bonheur ou le contraire. Par exemple, les chiffres 8 et 6 portent bonheur alors que le 4 (qui se dit se) se prononce comme la mort, et doit être donc évité. Mais que l'on comprenne cette symbolique ou non, l’atmosphère oppressante de ce monde inconsistant nous fait craindre le pire dès le début.

Il pleut, il bruine et le monde est flou. Chaque personnage a un problème particulier, maladie étrange, cauchemars et rêves prémonitoires et tout ce petit monde tourne autour du Devin, figure inquiétante dont les personnages ne peuvent se passer, maître des destins. Il les conseille, les guide, pour leur bien? Ou pour que « tout soit à sa place » ? Sorte de Dieu mangeur d’éternité et de chair, il est à la fois incontournable et ignoble.

La particularité de ce récit est de confondre rêve et réalité, d'être enveloppé dans une bruine qui ne s’arrête pas, monde gris où fantômes et chair se mélangent et se confondent, dans une solitaire interdépendance. Un très beau récit à ne pas manquer.

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