... à la japonaise.
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En yukata, autour du kotatsu
dans la chambre d'un ryokan |
Le Japon. La première idée qui me vient à l'esprit quand j'y pense, c'est le raffinement. Les étoffes finement décorées de fleurs de cerisiers, les bâtisses anciennes à la ligne pure et sobre, les jardins silencieux qui plongent dans la contemplation, le silence d'une porte de bois et de papier qui glisse, le frôlement d'un pied sur le tatami. C'est ce calme et ce raffinement que je vais y chercher chaque fois que je m'échappe de Chine par le Levant.
Les bourrasques de neige obscurcissent le paysage. Mon amie s'inquiète. Le train entre en gare. Sur le quai, quelques passionnés, bien armés sont en position et titillent énergiquement l'obturateur de leur appareil photo. Je suis toujours surprise de voir à quel point les japonais sont passionnés par leur propres trains. Pas une gare sans que quelques photographes se contorsionne dans tous les sens pour avoir la meilleure vue possible sur le train.
Le nez caché dans l'écharpe, la tête basse, nous affrontons la tempête de neige. De grosses pattes d'ours tombent sans discontinuer. Heureusement, le vent se repose un peu. Devant la station, un groupe est assis sous un bel auvent de bois, les pieds trempés dans un petit canal d'eau chaude. C'est le premier onsen, ou bain thermal. Kinosaki en regorge. C'est bien pour cela que nous sommes là.
La rue principale est bordée de petits magasins proposant principalement du crabe, souvent vivant, et franchement énorme, spécialité du coin. Un immense crabe-robot remue ses pattes contre l'une des façades. Nous ne sommes pas loin de la mer. On est jamais loin de la mer, au Japon, mais là, disons qu'on est encore plus proche que d'habitude. Même si au premier abord, nous sommes en montagne. Nous rejoignons notre ryokan.
Les chaussures abandonnées à l'entrée, les pantoufles devant la chambre, la porte de notre chambre glisse et notre hôtesse, agenouillée à l'entrée nous salue d'une révérence. Elle nous explique que le ryokan lui-même possède son propre onsen, nous donne notre carte pour accéder à tous les bains et nous sert un bon thé vert légèrement fumé. Deux friandises de sucre en forme de geta, la fameuse sandale de bois japonaise, l'accompagne. Nous nous réchauffons, les pieds sous le traditionnel kotatsu, la table chauffante (à infrarouge) recouverte d'une couverture, qui servira de chauffage pour toute la chambre pendant notre séjour. Puis nous nous changeons.
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Pieds nus (et rouges) dans les getas, en yukata,
devant le 2ème onsen |
Les yukatas nous attendent, identiques. Mon amie exprime à nouveau son inquiétude. Il commence à faire nuit dehors et la neige continue de tomber à gros flocons: ne ferions-nous pas mieux d'y aller avec nos habits d'hiver? On va mourir de froid en yukata! Mais le yukata est double et s'accompagne d'une troisième petite veste. Allez, ce sera beaucoup moins drôle si on ne joue pas le jeu jusqu'au bout! Je me débat avec les chaussettes à geta, dont le pouce du pied est séparé. C'est normal que l'ouverture pour les autres doigts de pied soient d ela même taille que celle pour le pouce seul? Après avoir bien trié et remis à leur place tous les doigts de pieds, la chaussette finit par presque s'enfiler. Il reste quand même un bon bout qui pend devant. Mon amie me regarde avec une pointe de désaccort dans le sourire. Euh... Y'a un truc qui joue pas? Le yukata. Il faut passer la pan droit sur le pan gauche, quand on est vivant. Ah. Nous chaussons nos geta de bois. Avec le sol pavé et enneigé dehors, ma première pensée est qu'on va se casser la g.... bobine! Parapluie verts en main, en harmonie avec nos vêtements, petit panier au bras, pour nos affaires de toilettes, nous nous attaquons à la nuit... et aux flocons. On va commencer par l'onsen le plus éloigné! Etonnament, il ne fait pas froid. Efficace, le double yakata. Et heureusement que le vent est allé se coucher avec la nuit!
La ruelle suit la rivière, qu'enjambe de vieux ponts de pierres. Des lanternes de pierre les éclairent. La neige fait un bruit doux en venant s'écraser sur le parapluie, tandis que nos geta claquent sur les pavés mouillés. Nous croisons des groupes en yukata et parapluie. Chaque hôtel a sa propre couleur et les groupes s'harmonisent entre eux. C'est superbe, c'est femmes en yukata et geta, sous leur parapluie, qui se dissolvent dans la nuit et la neige. Le rêve d'un peintre! De temps à autres, nous rencontreons des groupes qui se sont arrêtés en chemin pour se réchauffer les pieds dans un onsen publique, sous un vieux toit de bois. Des jeunes filles rient à ma curiosité et à mon étonnement. On y cuit aussi des oeufs durs!
Le peintre E. Delacroix aurait adoré ça. Femmes aux bains. Assises sur de petits tabourets de plastique, des femmes se savonnent énergiquement. Un bassin de bois à leur pied récolte l'eau pour se rincer, la douche chaude chante de tout côtés. Dans le bassin, des femmes papotent gaiement, c'est très bruyant, joyeux, vivant. Après m'être rincée méticuleusement, de manière à ne pas laisser une bulle de savon venir s'égayer dans le bassin, je m'y enfonce lentement. Très, lentement! Après avoir marché en geta-chaussettes sous la neige, mes peids sont gelés. Un peu le contraire de l'eau, qui est à deux doigts d'entrer en ébullition! Ouch! Le pire, c'est qu'on s'y fait! Mais ce n'est supportable que si la moitié supérieure du corps, et surtout les bras, restent dehors. Nous nous glissons rapidement vers le bain extérieure. Il est prit dans la forêt de montagne, pleine de nuit et de mystère, tandis que la neige virevolte à gros flocons. Nous nous amusons à attraper les flocons avec la langue, depuis notre bain chaud. Plus tard, après avoir visité trois onsen (à pieds nus dans nos geta, nos chaussettes n'ayant pas resisté au premier trajet dans la neige et les jets d'eau anti-givrant), nous irons déguster quelques sushis dans un petit restaurant familial. C'est beau, l'art de vire à la japonaise... en hiver.
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Docteur es "jouissances de la vie au pays des onsens" à Yudanaka |