... et la routine reprend
Voilà, c'est (re)parti. Rentrée des classes et habituel trac sont derrière, la machine à enseigner est sur les rail et le train train reprend. Sixième année en Chine, deuxième dans un lycée, je commence à connaître le public estudiantin autant que hiérarchique, les habituels problèmes d'organisation et de motivation pour les uns, d'organisation et de communication pour les autres.
On m'a récemment demandé si j'aimais ça, enseigner en Chine (ou enseigner tout court... c'était pas précisé). La réponse est la même de toute façon. J'aime enseigner, dans le sens où j'aime préparer des cours (faire la recherche de documents authentiques intéressants, réfléchir à comment aborder un sujet pour le rendre attractif, créer des activités mais aussi conseiller, guider, partager et apprendre), j'aime donner les cours et j'aime beaucoup plus moyennement corriger les travaux (cela dépend bien sûr des travaux rendus). Quant aux étudiants chinois, ils sont quand même beaucoup plus respectueux de l'enseignant que certaines de nos chères têtes blondes en Europe. Pas forcément dociles, non, juste plus respectueux.
Ce que je n'aime pas, puisqu'on en est à parler de goûts c'est le système éducatif lui-même. Et là je ne vise pas que la Chine car le système chinois n'est que l'extrême superlatif des autres systèmes. Le but de l'éducation? Gagner des points, le maximum de points, aux examens. Tiens, je ne l'aurais pas cru, moi qui naïvement pensait qu'on allait à l'école pour apprendre.
Ah bon? Je n'apprends rien à personne? C'est bien justement que l'éducation a perdu depuis longtemps ses objectifs les plus nobles pour se plier à la seule logique de marché: sois super, hyper compétitif pour devenir un "winner". On peut critiquer la culture qui a largement diffusé ce genre de valeurs, mais ce serait oublier qu'on les a bien vite adoptées.
Les philosophes humanistes peuvent donc s'en retourner. Toute cette belle philosophie, ce n'est pas rentable, ça embrouille la cervelle et ça rend rêveur. Le capitalisme n'a pas besoin d'intellectuels, il réclame des machine à produire et des consommateurs. Maintenant que chacun a droit à l'accès à l'éducation, juste combat mené depuis des siècles et qui voyait enfin son aboutissement, on a fait du système éducatif une machine à dégoûter les élèves d'apprendre. Apprends par coeur, recrache et gagne des points. Montre que t'es le meilleur, c'est la seule chose qui importe. Faut que ça rapporte, et le plaisir d'apprendre, ce n'est pas rentable.
Cet été, je feuilletais le numéro d'août de la Revue Suisse. Il était consacré à "la réforme et aux nouvelles tendances dans la connaissance". En effet, mon pays est en train de réformer le système éducatif, afin de l'harmoniser au niveau national. Il était temps!
On y trouve donc trois articles séparés, mais qu'il ne faut pas omettre de relier pour avoir une certaine vision de la gadoue dans laquelle on patauge. Tout d'abord, "La politique en matière de formation: après l'orage, l'éclaircie" (p.8-11), expose les problèmes d'harmonisation rencontrés. Les objectifs ne sont pas partout les mêmes et la réforme est présentée comme un champ de combat politique. Mais surtout, citons: Dorénavant, l'efficience résonne comme un mot d'ordre: finies les matières sympathiques, artistiques ou exotiques. Un à un, les cantons ajustent leur cursus vers les branches utiles. (p.11) Bien sûr, ce n'est pas nouveau. Remarquez, j'ai été éduquée dans une école qui donnait autant d'importances aux arts qu'aux "branches utiles" et je n'en suis pas sortie plus bête ou moins "efficiente". Mais continuons...
Page 14 on nous raconte comment des informaticiens et didacticiens de l'EPFZ ont fait l'expérience de l'enseignement de la programmation sur des écoliers grâce à un programme adapté. Ayant moi-même enseigné l'informatique, et justement la programmation, à de jeunes enfants avec ledit programme, je suis bien placée pour savoir que non seulement cela intéressait beaucoup les apprenants, mais aussi qu'ils étaient très capables et très créatifs en la matière. Pourtant, on l'apprend toujours dans l'article, Lehrplan 21, le programme d'enseignement pour la Suisse alémanique, ne prévoit toujours pas de cours d'informatique à l'école primaire. Attendez voir! Si je comprends bien, à une époque où les compétences informatiques sont un must pour atteindre ladite efficience visée dans l'article précédent, on intègre pas l'informatique au programme! Bonjour la cohérence!
Mais continuons. Après avoir écouté les autorités, tendons l'oreille vers le public concerné: les parents et enfants. On apprend dans un troisième article sur les votations (p.19) que des parents ont lancé une initiative "Jeunesse + musique", qui réclame... plus de musique à l'école. Bien sûr une initiative est lancée par un petit groupe et ce n'est qu'aux votations que l'on verra combien de votants sont pour, mais quand même, tout le monde n'est donc pas d'accord avec les objectifs d'efficience visés par les politiciens. Peut-être qu'il faudrait commencer à s'écouter les uns les autres, non?
Revenons en Chine. Il fut une époque, pas si lointaine, où une bonne éducation chinoise ne comprenait pas seulement l'apprentissage par coeur des manuels scolaires (j'exagère un peu, les chinois restent excellents dans les branches scientifiques, disons que je parle ici surtout de toutes les matières qui ne comprennent pas de chiffres, ou alors seulement des dates), mais les quatre arts 琴棋書畫 qin qi shu hua, musique, jeu (de go), calligraphie et peinture. Bien sûr, ce n'est pas exactement l'objectif du gouvernement actuel de faire un peuple pensant, il préfère un peuple patriote et efficient. Pourtant, ce besoin d'une bonne formation artistique demeure et nombreux sont les écoliers qui après l'école suivent des cours privés. Mais ils abandonnent dés le lycée, écrasés sous les heures de cours et les devoirs. Dès 7h00 en classe pour la lecture jusqu'à 22h00. Et ceci, toute la semaine. Pour le moment, dans mon lycée, les élèves ont congé le samedi après-midi et le dimanche (mais pas tous). Les autorités du lycée, bien sûr, font tout pour lutter contre cet intolérable laxisme et il est bien possible que nos élèves n'aient plus qu'une demi-journée de congé par semaine, très bientôt. Alors forcément, il est un peu difficile de leur reprocher leur manque d'intérêt et de motivation.
L'année passée, j'enseignais aux grades chu, les collégiens ainsi qu'aux gao, les lycéens. Mes collégiens de première année étaient remplis de curiosité et ne demandaient qu'à apprendre. En deuxième, ils devenaient plutôt blasés, en troisième, ils étaient carrément écoeurés, en gao, ils croulaient de fatigue. De toute évidence, l'enseignement n'avait pas répondu aux attentes des petits chu motivés et curieux de tout.
On reproche aux jeunes d'être trop câlinés? D'être paresseux? De manquer d'intérêt? Ce n'est pas en les abrutissant par des heures et des heures de cours à recracher ensuite que l'on va éveiller leur intérêt pour l'apprentissage. Dégoûter les élèves de la connaissance est certainement le pire crime contre elle-même que puisse commettre l'école.
Note ajoutée le 21.10.2012: C'est fait, les Suisses ont voté! Et à 72 %, une belle majorité donc, ils ont exprimé leur désir d'un enseignement musical à l'école! Autant pour le rejet des "branches artistiques et inutiles" en faveur des sacro-saintes branches "efficientes"! Et si ces andouilles relisaient "Gödel, Escher, Bach", juste pour comprendre comment tout est lié? Arts et sciences. Logique et créativité.
Note ajoutée le 21.10.2012: C'est fait, les Suisses ont voté! Et à 72 %, une belle majorité donc, ils ont exprimé leur désir d'un enseignement musical à l'école! Autant pour le rejet des "branches artistiques et inutiles" en faveur des sacro-saintes branches "efficientes"! Et si ces andouilles relisaient "Gödel, Escher, Bach", juste pour comprendre comment tout est lié? Arts et sciences. Logique et créativité.